Identité

Je suis née de la dernière pluie. Protégée par des nuages, j’ai chevauché l’arc-en-ciel pour me poser au cœur d’une source. Étais-je cette source ? Non, je n’en représentais qu’une larme. Une perle. Mais forte de la volonté de vivre qui m’agitait, j’ai dévalé un ruisseau, croisé un flux qui s’est à son tour élancé entre les rochers sur un lit de cailloux. Je suis devenu torrent. Furieux comme un soir. Étais-je tout le torrent ? Non, je n’étais qu’un instant. Je n’étais même pas reconnaissable. Mais je portais un peu de ce rêve qui avait émergé du ciel. Ma jeunesse a remisé sa fougue dans le torrent en passant à travers les sapins. Enfin, à leurs pieds, juste en bordure du lac. Étais-je le lac ? Non, je n’étais qu’une visiteuse de passage. Le temps de ma traversée, j’accueillais l’image de la petite cabane, plus loin, là-bas. Tu vois. Cette cabane comme une trace de colonisation dans un décor sauvage. Plus loin, je me suis posée sous un pont. Un pont de femme ou un pont d’homme. Blanche ou blanc. Pour relier aujourd’hui à demain. Un pont pas pour moi. Moi, ma vie c’était le courant, ma fuite en avant. Encore plus loin. Jusqu’au croisement entre ma rivière et le fleuve dans lequel j’allais me jeter. Etais-je le fleuve ? Non, je n’étais qu’une bulle ballottée entre les méandres, prête à s’engloutir dans l’estuaire. Ne me demande pas si j’étais l’estuaire. Tu sais que la réponse est non. Alors, je me suis noyée dans l’océan jusqu’au premier rayon de soleil qui m’a vaporisée dans l’espace. Je suis juste une Native, une de ces Indiennes que les Blancs ne respectent jamais. Je suis une poétesse dont la vie est une larme pleine des récits des anciens. Une larme ou une perle de larme. Je suis intrinsèquement Larme du Souvenir des Temps Anciens. Mais toi, appelle-moi juste Joy.

Le tableau est de T.C. Cannon. Superbes oeuvres. Je l’ai photographié au Muséum of American Indians à New York City (Mai 2019

).