Ecrit pour une participation à une revue (non retenu, mais écrit quand même), ce texte résonne avec une chanson de Gregory Isaacs.
Avant même de finir d’être grande, mon héroïne a déserté la routine. Elle l’a bourlinguée sur les routes de sa soie pour hanter des chemins à Katmandou, pour se pénétrer des effluves d’encens au patchouli – entre spiritualité et émerveillement. Bien plus tard, derrière ses paupières baissées à la manière d’un Bouddha en phase d’illumination – Om mani padme um -, sa vision s’intensifie, sa conscience s’étale en vibrations par delà son esprit embarqué sur une jonque à l’abordage du cyberspace. Elle vogue. Elle m’embarque. Elle m’élève. Perchés aux mâts de misère, ses anges gardiens dressent leurs ailes sur des océans cotonneux où se posent ses démons. Dans une île interdite, son dragon empli de la fécondité de sa descendance protège les oeufs de sa destinée dans le secret des terres submergées. Elle le chevauche. Elle ravive le feu d’apprentis sorciers incapables de rivaliser avec le souffle de sa race. Autour d’elle, de voluptueuses volutes émergent d’un cocon du soi afin que l’araignée mythique femme indigène des traditions tisse sur son métier les ouvrages de protection des peuples nus dans la tourmente. Ses mondes se cumulent et s’accumulent en strates orgasmiques. Ses mondes se succèdent dans les excès volcaniques des couches de sa Terre emplie des préfigurations insanes de ses enfants. Ses mondes sont des cuves où fermentent des décoctions florales.
De son parfum, je jette le flacon à la mer pour m’imbriquer dans son ivresse à la mesure de mes allures psychédéliques. Je m’habille de ses nappes de brume mauve. La lame de fond de son patchouli vanille s’épand sur la mer d’huile de nos émotions d’amants. Nous baignons bientôt dans un jacuzzi pulsant des bulles de désirs drivées par notre inconstance. Dans son cœur d’Ylang-Ylang rose, elle se drape des couleurs de l’étourdissement en m’imposant un attachement qui oublie les fumées célestes pour nos paradis amoureux. Sa rumeur de braise dans le fourreau d’une pipe danse dans les envolées lyriques du space opera d’un musicien amphigourique. Elle vampirise l’énergie des peuples sans croyance en échouant son culte sur la couchette branlante d’une maison close au soleil levant.
Quand le matin nous prend – mon héroïne et moi – dans la spirale de mes insomnies, je salue cette égérie ultime vision de ma solitude opiacée.