EN HAUT DE MA RUINE

La pierre chauffe son ocre sous le soleil. Le mur entier chauffe son étendue dévastée sous le soleil. La pierre ocre est celle de mon élan. J’y accroche mes doigts repliés à m’en blanchir les articulations afin de me hisser au point où mes baskets m’offrent le décollage espéré. Personne ne les appelle Converses à l’époque. Ce ne sont que des chaussures semblables à celles qui équipent les Harlem Globe Trotters. J’en suis tombé dingue lorsque je les ai applaudis en spectacle dans les arènes pleines. Pas sportif pour un sou, je rêve d’Amérique, de cow-boys et d’Indiens. Je sais très bien qu’Indien c’est pas bien. J’étais enfant. Je revivrais la même scène maintenant, j’utiliserais Amérindien, ou Indigène comme Joy Harjo. Pourtant, les Harlem Globe Trotters ne sont ni des indigènes, ni des émigrants pas plus que des émigrés. Enfin, migrants, leurs ancêtres l’ont été. De force, de haine, de désespoir. Ils sont cette face des USA que je ne connais pas. Pas plus que La Case de l’Oncle Tom. Moi, je suis bloqué à celle de l’oncle tomawak ! Je suis avant tout l’appel de la forêt avec Croc-Blanc, avec les chiens de James Oliver Curwood. Bari surtout. Je rêve qu’un jour je n’aurai pas un caniche ridicule comme celui de mon père – que j’aime bien au demeurant, il me lèche – pas mon père, le caniche ! Non, quand je serai grand, j’irai me chercher un vrai chien-loup, gros et gentil. Pas un berger allemand ! Je n’ai rien contre les Allemands même s’ils ont enfermé un grand-oncle à moi dans un camp de concentration. Mais ça, c’était avant ! Même mon grand-père il leur parle, aux Allemands. En français. Pourtant, ils ne sont pas tous venus en France en 40. En plus, ils devaient parler comme moi quand on voyage. On parle français. Eux c’était même pas un voyage en plus ! Ils devaient parler Boche. Puis certains sont venus pour y rester. Enfin, c’est mon grand-père qui sait. Il me raconte que dans le maquis t’avais pas le choix. C’était eux ou nous qu’il dit mon Grand-Père. Il est gentil parce que quand même, les Allemands, ils ont fait mourir son frère dans leurs camps de la mort ! Quand je lui demande, il me dit que c’étaient des nazis. Eux, je ne les aime pas. Je sais déjà que ça durera toujours. Je ne les aimerai jamais. C’est pas comme les Harlem Globe Trotters. Eux, je les aime bien. Je l’ai dit à mon grand-père, mais lui il m’a dit qu’il préfère le rugby. Le reste c’est des sports de tapettes. Enfin, c’est lui qui parle comme ça. Il m’a dit un truc sur les basketteurs new-yorkais, mais je crois qu’il faut plus dire comme ça. À la télé, ils disent Noirs ou Noirs américains. Ils en ont parlé quand deux athlètes qui ne jouent pas au basket ont levé leur poing sur le podium. C’était à Mexico, je crois. C’était il y a deux ans. J’ai bien aimé aussi. Et ces poings dans des gants noirs, ça ne me faisait même pas peur ! En vrai, ça me fait envie. Je crois que je sais pourquoi ils font ça. J’ai lu un magazine de ma mère. Un truc de mode. Il y avait des photos de Noirs américains avec un béret noir en cuir, un long manteau noir, des rangers noires, des fusils noirs aussi. Je les ai trouvé beaux. Quelques pages plus loin, il y avait la photo d’une femme que je trouve encore plus belle que les hommes panthères noires. J’en suis amoureux. J’ai découpé la photo sans rien dire. Elle est dans la poche de mon short. Je sais, à mon âge, tu ne peux pas être amoureux. Moi, je crois que si. Elle s’appelle Angela Davis. Plus tard, j’irai la voir si elle n’est pas en prison. Oui, j’ai lu qu’elle était recherchée par la police. Pour engagements politiques. Là je n’ai pas tout compris. Mes parents ne parlent jamais de politique à la maison. Enfin, c’est ce qu’ils disent aux gens qui viennent les voir. Alors, moi je ne sais pas. Mais ça ne m’a pas l’air d’un truc méchant, la politique. Enfin, surtout avec une femme comme Angela. C’était écrit qu’elle luttait pour les Noirs américains. Moi, je trouve ça bien. Je lui dirai qu’elle doit lutter pour tous les Noirs. Ce serait mieux parce que je sais que ma mère raconte que quand ils étaient à New York, ils ne pouvaient pas marcher dans la rue avec un collègue de mon père. Parce qu’il était Noir africain. Les autres auraient fait des réflexions. Les Blancs surtout. Mais l’ami de mes parents, le collègue – mais ils étaient quand même amis – il les a menés à Harlem. Ils n’ont pas vu les Globe Trotters, mais ils ont visité des trucs super ! Avec de la musique à fond. Ma mère est folle de jazz. Et de plein de vedettes américaines. En revanche – mon père me dit qu’on ne dit pas par contre – ma mère elle n’apprécie pas Angela. Elle dit que c’est une terroriste. Moi, je n’en ai pas peur. En histoire, on parle de la Terreur pendant la Révolution française. C’est à l’école ça ! Pour le moment, c’est les vacances. 

Je grimpe sur le mur de la vieille ruine à côté de chez moi. Je pense que je vais continuer à escalader en grandissant. Comme ça, j’irai délivrer Angela. J’attrape la dernière pierre. Ce mur est le plus haut. Comme un funambule, je me dresse, je marche précautionneusement. Je vais rejoindre la cabane que je me suis construite dans le mûrier platane. Je viens ici chaque fois que je m’ennuie. Aujourd’hui, j’ai ma carabine à patates dans le dos. Des fois, j’ai un arc. À l’épaule, pas dans le dos. Je me mets sur ma cabane sans mur ni toit pour scruter l’horizon qui n’est pas trop loin. Jusqu’à la maison des voisins. C’est pas énorme. Mais j’apprends à ne plus la voir cette maison. Je vois une prairie comme celle de Fenimore Cooper. Je vois des signaux de fumée. Ce sont mes frères, les Lakotas. Ils me disent qu’ils ont repéré des bisons. Il faut que je sois prêt. Ils viennent me chercher. Il faut que je prépare mon cheval. Enfin, les signaux de fumée, c’est un résumé. En faux évidemment. Je n’ai même pas de bottes. Juste des baskets ! C’est à cause de ces chaussures que j’ai pensé aux Harlem Globe Trotters puis à Angela. Parce qu’en vrai, je suis aussi amoureux d’une autre femme. Je ne me rappelle plus à quelle tribu elle appartient. Mais elle est belle ! Ce sont des trappeurs qui l’ont emprisonnée sur leur bateau. Elle, je ne l’ai pas vue en photo. Elle joue dans un film. La captive aux yeux clairs ! J’aime bien les deux. Angela et Teal Eye. Mais là, je dois me préparer. Mes frères Lakota m’invitent à la chasse. Nous allons danser avec les loups. Le mien ne sera pas un loup, mais un chien. Un grand chien blanc qui viendra me rejoindre sur ma ruine, sur mon mur, sur ma plate-forme. Quand le jour se couchera, au crépuscule, il pointera son museau vers le ciel. Il hurlera d’un long hurlement plaintif pour dire combien il aimerait revenir à la vie sauvage. 

Alors, je le suivrai, par la Nature heureux, comme avec deux femmes. De couleur. 

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