Voilà, c’est fait. Je suis devenu un rocher. Certes, je l’étais déjà contre vents et marées. Enfin, à contre-courant. Car je suis un rocher dans une rivière. Au milieu d’une rivière. Je suis un énorme rocher.
Chaque année, les eaux printanières des montagnes dévalent les Alpes, plongent en cascades monumentales, se perdent entre les résineux. Elles me caressent de leur langue d’écume parfumée aux senteurs de sapin. Elles me lèchent de leur désir de m’entraîner dans la folle escapade de leur fuite.
Quelquefois, elles me mènent une truite arc-en-ciel pour jouer à cache-cache dans le bas de mon dos. Elle va, elle vient. Elle me chatouille. J’en sourirais si je n’étais pas si minéral dans toute cette eau. Ne croyez pas que ma raideur de marbre ne me permette aucune de ces exquises sensations. J’ai un coeur de pierre, mais celui d’une pierre protectrice.
Certains matins pleins de fraîcheur, un humain, un pêcheur, lance ses escouades de mouches dans les remous près de moi. Positionné en tailleur, je permets à des gardons frétillants ou à des goujons benêts de trouver refuge dans mon assise de sage méditant. Ma rigidité est impuissance, pourtant je sais les vibrations qui abritent ces poissons égarés. Je leur évite la mort au bout du crochet.
En été, je me régale de mes amis les arbres, tellement plus vifs que moi que même les bipèdes parlants leur reconnaissent des capacités à communiquer. Moi, dans le défoulement aqueux, je réagis indolemment aux salutations de leurs branches agitées par la brise.
De temps en temps, quelques humains, des vacanciers, me heurtent dans leur canoë profilé en résine synthétique. Quelle horreur ! J’ai l’impression d’un cataplasme chimique. Heureusement, l’automne ramène des couleurs à mes amis des berges, m’offrant un paysage changeant où les bruns, les oranges, les rouges et les jaunes s’associent à la persistance verdoyante. Je suis heureux. Je suis toujours heureux. Comme une histoire d’amour infinie. Car je suis une histoire d’amour. Vous ne me croyez pas ? Je vous ai dit que j’étais un gros rocher. C’est ce que les gens voient en moi. Mais la vérité est inscrite dans le temps. Voilà des millénaires, dans cette même rivière, je me tenais au milieu du courant face à une belle de pierre ancrée à quelques ricochets de moi. Je me sentais attiré par elle. Elle était resplendissante sous le soleil que renvoyait l’onde calme qui la berçait. Vous vous doutez que les échanges amoureux chez les rochers s’étirent sur des siècles ! Un jour, un simple petit jour, l’inaccessible se fit possible. Un grondement de tonnerre dévala la montagne précédant une vague cataclysmique. La puissance de cette déferlante me tira de mon lit, me précipita sur la belle qui, plus forte qu’une Lorelei rhénane, m’empêcha de détaler au loin. Plaqué contre son sein, l’amour cristallisa nos passions dans l’éternité.
Si un jour, vous passez près de moi, ne croyez pas des racontars prétendant que le froid a éclaté ce roc planté au milieu de l’eau. Regardez-moi bien, vous verrez que nous sommes deux êtres de pierre enlacés à jamais.
L’
eau
défile
vive
et
légère
comme
les
fils
de
la
pelote
de la
vie
qu’un
enfant
déroule
dans
le. lit
du torrent
pour dévaler
les pentes
depuis
la source
du bonheur
apaisé
jusqu’au
au creux
du lac
de la
sérénité
avant de
repartir
d’un bel
élan vers
d’autres
courants
Ça fait longtemps que tu n’es pas allé à la pêche, dis donc…
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Quand tu es un roc, le temps c’est cool !
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